Bertrand Picard. La trentaine. Cheveux bruns en bataille. Yeux marrons. Lunettes carrées et barbe de trois jours. Plutôt grand avec quelques muscles. Très intelligent, quand il le veut. Cet Officier du Régime est en charge de l'une des prisons d'Enola à Amanil, capitale de l'île. L'information importante à retenir sur lui est qu'il est un fan inconsidéré des Feux de l'amour ; car sa série à succès fétiche le conduira à frôler la mort par une belle soirée anodine. Mais commençons plutôt.
Le soleil est couché depuis longtemps maintenant. Aux alentours de vingt heures, un jour qui semble pareil à tous les autres, Bertrand est installé confortablement sur son canapé devant son émission dont il ne rate aucun épisode malgré leur nombre impressionnant. Un saladier rempli de pop-corn est posé sur lui, tandis que son air hagard scrute son poste de télévision, se préparant au moment où Dylan rencontrera enfin Nikki. L'appartement de Bertrand est loin d'être luxueux ; tout un petit salon dans lequel il dort la plupart du temps grâce à son canapé-lit, une cuisine américaine, une salle de bain, et enfin des étagères sur lesquelles sont empilées des tonnes de DVDs. Il vit seul, tel un loup solitaire, et cela lui convient très bien. Tout ce dont il a besoin, c'est de ces personnages qu'il connaît depuis plus de vingt ans maintenant et dont il ne se lasse toujours pas. Relativement peinard et flegme, ce n'est pas le genre à chercher des noises aux autres, et pourtant, il tuerait sans hésitation si jamais il devenait victime de spoilers. C'est une des rares choses qu'il ne pardonne pas.
Alors assis bien grassement dans ses coussins et sa couverture, il ne peut espérer un moment plus tranquille pour se détendre. C'était bien sûr sans compter sur l'explosion provenant de la télévision qui retentit d'un coup et se décomposa dans des éclats de lumière et de fracas. Picard sursaute immédiatement, faisant renverser son bol, et jette un coup d'œil rapide à son poste après s'être caché derrière son canapé en un saut maladroit. Ce dernier, néanmoins, n'est plus de ce monde depuis quelques secondes. Quelqu'un en veut à sa vie, Bertrand en est persuadé. Sans plus attendre, il ouvre la lumière et court vers son placard à balais pour en sortir un fusil de chasse prêt à être utilisé. Il n'en aura cependant pas l'occasion, car la lumière se met à grésiller pour s'éteindre complètement, et il se retrouve plongé dans le noir. S'apprêtant à tirer un coup dans le vide pour tenter de faire fuir l'indésirable visiteur, il est une fois de plus stopper dans son élan lorsqu'il sent quelque chose le frapper à l'arrière de la tête et qu'il se retrouve aussitôt assommé.
Quand Bertrand se réveille, il fait toujours sombre. En sentant le tissu contre sa peau, il remarque qu'on lui a en fait bandé les yeux... et attaché. En effet, il est cloué sur une chaise en bois par des cordes extrêmement solides, et impossible pour lui d'exécuter le moindre geste sans que ses liens ne lui tirent l'épiderme et le brûlent. Toute résistance physique semble inutile. Il entend un bruit de chaise qu'on traîne, avant que quelqu'un n'y prenne place face à lui. L'Officier est persuadé qu'il s'agit d'un Résistant, et il croit même savoir ce qu'il est venu faire chez lui. Mais il ne compte pas piper mot, bien entendu. Et c'est son opposant qui commence la discussion d'une voix mielleuse qui l'agace déjà.
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Alors ? On est pas bien, comme ça ?-
J'ignorais qu'à la Résistance on avait ce genre de tendance.-
Je n'ai jamais dit que j'étais un Résistant.-
Non seulement tu veux attenter à ma vie mais en plus tu es foutrement agaçant. Pour moi, tu es un Résistant.-
Vous savez donc pourquoi je suis là ?-
Pas pour me parler de la relation houleuse entre Jack et Ashley, j'espère.-
Je prends ça pour un 'oui'. Donc, où sont-ils ?-
Je ne vois pas de quoi tu parles, mon gars. À part si tu fais référence à mes magazines Têtu, sache que je les ai tous jetés.-
Vous savez très bien de quoi je parle.Golden Wings commence à venir à bout de sa patience. Si d'ordinaire il fait preuve d'un grand calme, ses émotions font des montagnes russes constantes dans son esprit, oscillant entre l'angoisse, la peur, la frustration, et le chagrin. Son Ectoplasma veut agir ; mais il l'en empêche, se disant que ça ne vaut sûrement pas la peine de le défouler sur lui pour une information qu'il sait être en la possession du soldat adverse d'une façon ou d'une autre.
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La liste qui comporte les noms des prisonniers que vous gardez dans votre prison, voilà de quoi je parle.-
Nan, je vois définitivement pas.-
Vous croyez que je me suis introduit ici par hasard ? J'ai quelques connaissances qui ont pu me filer des infos utiles, sur vous, et je ne partirai pas sans ce que je suis venu chercher.-
Et qui te dit que cette liste est ici ?-
Mon intuition.Devant ces propos, l'officier ricane. Golden s'en moque. L'Azumarill de celui-ci en profite pour apparaître et commence déjà à sermonner son dresseur pour avoir détruit une si belle télé. Fan de tout ce qui touche au grand écran, Tsume accompagne de plus en plus le Résistant dans ses missions pour faire comme James Bond et vivre des aventures top secrètes. Il faut dire que devant une caméra, le Pokémon aquatique fait des merveilles, bien qu'on lui ait interdit d'en prendre une avec lui quand ils se mettaient à l'œuvre, pour infiltrer des soldats, par exemple. Mais Golden se fiche bien du problème ridicule de Tsume et l'envoie fouiller dans les disques s'il n'y avait rien qui pourrait l'intéresser, que ce soit un indice ou même la liste en question. L'Azumarill n'aime pas qu'on lui donne des ordres hors des combats, mais il fait une exception cette fois en remarquant tous les beaux coffrets de séries qui s'offraient à lui.
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Si vous osez toucher à mes éditions collectors...-
On s'en fout. Figure-toi que ça serait plus simple si tu acceptais de coopérer.-
Vous nous croyez vraiment si stupides, à la rébellion ?-
Je sais qu'il est ici, et ce n'est qu'une question de temps avant que je ne le trouve. Mais il n'y a rien de mal à vouloir faire en sorte que ça avance rapidement. Plus vite j'aurais mis la main dessus, et plus vite je m'en irai. Tu devrais être ravi, donc.-
Plutôt mourir que de dévoiler ce que je sais.-
Comme tu veux. Mais sache que je finis toujours tôt ou tard par obtenir ce que je veux.Encore pire que lorsqu'on lui donne une mission, quand il décide lui-même de ses actions, impossible de l'arrêter. Surtout qu'il ne manque pas de convictions, et qu'il n'hésitera pas à utiliser les grands moyens si cela peut lui permettre d'atteindre son but. Alors Golden Wings se lève de sa chaise et sort Synkro de sa boule pour lui demander de les aider à chercher la précieuse liste en question. Si le Gardevoir se serait acquitté de cette tâche avec nonchalance dans un autre cas, il n'attend pas une seule seconde pour commencer les recherches alors qu'il sait la situation plutôt fragile dans laquelle se trouve son dresseur. Particulièrement utiles, ses pouvoirs psychiques permettent de retourner les meubles dans tous les sens et d'avoir une vision plus claire du contenu de l'appartement. Le Résistant fouille toutes les pièces dans les moindres recoins, soupirant à chaque fois lorsqu'il constate que Tsume semble plus préoccupé à baver sur les éditions limitées qu'à les aider dans leur tâche ; mais de toute façon, il sait que le lapin bleu n'est jamais vraiment actif quand cela ne concerne pas la caméra, ce qui le désespère assez. Il ne lui en demande pas plus, toutefois, car l'Azumarill boit chacune de ses paroles lors des combats officiels et c'est tout ce qu'il lui demande, au fond, en plus de faire ami-ami avec les autres, mais ça c'est pratiquement mission impossible, ou alors il faut parvenir à briser le mur de tsunderage qui le coupe de l'affection du reste de l'équipe.
Néanmoins, comment lui en vouloir, alors qu'au bout de presque deux heures, le Résistant ne trouve toujours rien malgré la taille des lieux et ne rêve que de s'asseoir au sol pour ouvrir des centaines de boîtes de DVDs afin de se changer les idées et de faire passer son exaspération. Il espérait trouver des réponses. Au final, il n'a rien. Ce soldat dit-il la vérité, après tout ? N'a-t-il vraiment... ? Non. Il le sait. Il a ce qu'il veut, et il le trouvera. Par tous les moyens possibles. Mais il a cherché partout, et les idées lui manquent. Pendant un instant, Golden se demande si ce Picard ne cacherait pas sur lui le fameux morceau de papier. Dans la mesure où ce n'est pas souvent à même le corps qu'on pense à vérifier en premier, ce ne serait pas illogique qu'il garde son précieux sur lui. Dans une de ses chaussures, par exemple. Ou pire : son caleçon. Mais la Pierre aimerait réellement ne pas avoir à examiner ce genre d'endroit. Il n'est pas trop pudique, et encore moins quand il s'agit de quelque chose d'aussi important, cependant une petite part de lui espère tout de même, bien qu'il s'est promis de tout explorer de fond en comble.
C'est d'ailleurs ironique de savoir que c'est en fait Tsume qui lui sauvera la mise. Car alors que le Pokémon eau et fée étale toutes les pochettes de films et séries au sol, celui-ci en ouvre une nouvelle, la dernière pour remarquer un étrange disque noir qui ne ressemble en rien aux autres. Pas de titres, pas de personnages de l'œuvre en question, rien. Juste du noir, et derrière, évidemment, le motif traditionnel argenté au dos des Cds qui porte des reflets arc-en-ciel. Allongé sur le canapé en train de se triturer la tête pour réfléchir, l'attention de Golden se tourne vers Tsume au moment où il ne l'entend plus s'extasier comme un fanboy pourri, et il écarquille même les yeux lorsque son Pokémon jette le disque un peu plus loin, ce qu'il n'a jamais osé faire auparavant. Intrigué pour pas grand chose, le Résistant se lève jusqu'au DVD à terre et le saisit pour le scruter. Synkro se rapproche pour le regarder à son tour et reste de longues secondes à le contempler d'une manière étrange et intense à la fois. Au bout du compte, la fée psychique finit par hocher la tête d'un air qui ne laisse passer aucun doute, apparemment sûre d'elle. Surpris, Golden retourne le disque, interrogateur, avant de froncer les sourcils et d'afficher une expression grave.
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Cacher des données dans un CD-ROM. Je n'y aurais jamais pensé.-
Pas comme si à la Résistance vous pensiez à beaucoup de choses, quand on sait que vous nous empêchez d'instaurer la paix durable ici.-
Une paix durable s'installera par la force des armes quand j'écouterai du Justin Bieber. Synkro, nous partons.On le dira hypocrite. Il répondra qu'il ne fait que défendre, et qu'il n'est qu'un homme parmi tant d'autres qui contribuent à renverser le mouvement qui les oppresse depuis trop longtemps déjà.
Perdu dans ses pensées, le concerné fait un mouvement de la tête et invite Tsume et Golden Wings à se rapprocher. Le brun desserre un des nœuds qui rattache le Régimeux pour qu'il puisse se libérer de lui-même, et rejoint son Gardevoir et l'Azumarill. Tous trois disparaissent enfin, leur précieuse trouvaille désormais acquise.
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Encore une fois, je rentre bredouille. Savoir que Natsume se trouvait dans une de ces prisons m'aurait au moins indiqué son emplacement, si seulement son nom avait figuré sur cette liste. Mais lorsque j'ai demandé à Nagisa de m'aider à décrypter le CD, nous n'avons rien trouvé correspondant à celui que nous recherchons toujours. Si le Régime le garde quelque part, ce n'est pas dans un lieu que nous pourrons trouver aussi aisément que nous aurions pu le penser. Hélas, les idées me viennent à manquer et je ne sais plus où chercher. J'ai l'impression que nous avons fouillé tous les recoins de l'île pendant ces dernières semaines, mais je sais bien que ce n'est pas le cas, sinon nous l'aurions trouvé. Car je suis persuadé qu'il lui est arrivé quelque chose sur Enola. Il n'a pas disparu de plein gré, c'est une certitude ; il n'aurait pas laissé tous ses Pokémons ici. Seul son trio de serpents est absent, probablement avec lui, d'ailleurs, une perspective qui me soulage légèrement quand cela me fait dire qu'il est donc probablement accompagné de Byakuran, Hatori et Fran.
Exténué, je me dirige d'un pas lourd vers le lit de Natsume sur lequel je me laisse tomber péniblement, réveillant au passage Cheza qui se reposait sur un des oreillers et qui s'approche aussitôt de moi après avoir émergé de son sommeil. Inquiète de mon état, elle secoue avec douceur l'une de mes épaules, et à son attention je relève faiblement la tête pour lever mes yeux fatigués sur les siens. Je n'aime pas lire de la peine dans son regard, mais je ne peux rien pour elle, cette fois. Mes cernes, mon teint pâli, et mes sourires inexistants ne trompent personne, sauf que je n'y change rien par moi-même. Harassé, mes Pokémons se font du soucis pour moi. Je tente de les rassurer du mieux que je peux lorsque j'essaye de croire que ça va s'arranger, mais il est de plus en plus difficile de rester positif quand les pistes que nous trouvons finissent par être détruites les unes après les autres au fur et à mesure que nous les suivons, car aucune ne mène à l'éleveur, pas même à son fantôme que nous traquons sans relâche par des traces qui nous tiennent en laisse jusqu'au moment où nous nous rendons compte qu'elles ne mènent nulle part et que nous semblons poursuivre une chimère depuis le début.
Devant le monde entier, je reste impassible. Je fais mine de rien montrer et de me comporter comme je le ferais d'habitude. Mes proches ne sont pas dupes, mais l'image que je fais semblant de leur donner est suffisante. Je refuse de craquer devant qui que ce soit, même ma propre mère, qui voit bien mon trouble mais qui ne fait aucun remarque, consciente que je veux le moins en parler ouvertement possible. Je ne peux même pas me confier à Faust, à qui j'ai apporté déjà beaucoup trop de problèmes. Il s'en veut assez comme ça sans que je lui en rajoute, et même si sa culpabilité me fait de la peine, je m'obstine à lui dire que tout ira bien et que nous finirons par récupérer Natsume, d'une façon ou d'une autre. Tristan, quant à lui, a presque honte de vivre une idylle parfaite alors qu'il sent bien à chacune de mes visites que le moral n'est pas au beau fixe mais que je fais tout pour que personne ne s'en aperçoive. Je dois rester fort pour les autres. Pour Faust, pour Charlotte, et auprès d'Alice, qui n'est au courant de rien, et que nous tenons à laisser dans le mensonge jusqu'au retour du Shimomura, même si elle est assez intelligente pour se douter que quelque chose cloche. Mais l'année précédente a été déjà suffisamment éprouvante pour que nous n'en rajoutions pas plus sur les frêles épaules de la fillette ; alors même si elle n'est pas dupe et qu'il faudra un jour lui dire la vérité, nous préférons garder la version des faits que nous lui avons donné. Peut-être, quelque part, est-ce pour nous rassurer nous-mêmes.
Ma main vient tâter son côté du lit. Froid et vide, sans surprise. Je rampe avec lassitude pour coller mon nez au matelas. Son odeur a fini par s'éventer. Devant cette constatation, une douleur dans la poitrine me compresse d'un coup, et je me lève d'un geste brusque pour me diriger vers un des tiroirs de sa commode que j'ouvre brutalement avant d'en sortir un t-shirt lui appartenant. Je le colle contre moi et respire d'une longue traite son parfum qui emplit mes poumons, comme s'il s'agissait de Ventoline. Mes yeux se ferment, et j'inhale la senteur du disparu calmement. Le mal qui me serrait se tait peu à peu, et je garde dans mes bras le tissu que je refuse à présent de lâcher, comme si c'était un trésor.
En silence, je retourne sur le lit et m'y allonge de nouveau, en tenant avec fermeté le vêtement de Natsume contre moi. Peut-être qu'en faisant ça, je pourrai le libérer des cauchemars qui me hantent, qui sait. Mais je peux m'entourer de son parfum autant que je veux, ce n'est pas ça qui pourra le faire revenir, ou remplacer sa présence qui me manque cruellement. Je me redresse un peu. Mon regard balaye la pièce plongée dans la pénombre, avec pour seul éclairage la lueur de la lune, pour m'attarder sur la fenêtre qui donne vue sur son laboratoire. Je me lève encore pour m'y approcher, allant même jusqu'à m'introduire à l'intérieur, ce que je ne fais jamais d'habitude. Si quelques affaires ont pris un peu de poussière, tout est en ordre, comme toujours. Les bocaux de poudres sont fermés, les flacons sont propres, et aucun instrument ne se trouve en désordre. Même sa blouse et ses gants sont intacts, signe qu'il n'y a pas touché depuis longtemps. Mais ça, c'est déjà une évidence. Ma paume se pose sur le dossier de sa chaise. Je l'ai tellement vu s'y installer, les soirs avant de se coucher, que je peux parfaitement imaginer sa silhouette de petit chimiste amateur en train de manipuler toutes sortes de flacons, béchers, et autres éprouvettes. Lorsqu'il faisait ses manipulations à des heures tardives, je me levais et me permettais de pénétrer dans son sanctuaire pour venir furtivement lui demander quand est-ce qu'il comptait me rejoindre pour dormir. Je m'étais même autorisé à lui donner des petits coups sur la tête lorsqu'il exagérait vraiment sur les horaires. Et quand bien même il m'avait répété à de maintes reprises que, soit il venait dans '5 minutes', soit je pouvais très bien s'endormir sans lui, j'avais tenu à ce que chaque soir je puisse sentir sa chaleur contre moi. Je dormais tellement mieux lorsque j'étais blotti dans ses bras.
Il faut croire toutefois que même le vide de son laboratoire fait hurler en moi une voix qui pleure sa disparition. À cet instant, mes bras tremblent, et j'ai l'envie folle de tout envoyer valser. Me défouler comme je peux sur tout ce qui lui appartient pour crier au monde mon désespoir et mon chagrin. Ce n'est guère intelligent, mais après tout, les choses stupides, c'est ce que je sais faire de mieux. Pourtant, ce n'est pas cette logique qui me retient. Mais je sais que tout ce qui vient de cet petit atelier a été gagné au prix de ses nombreux efforts, et je ne peux me résoudre à briser ne serait-ce que le moindre objet. Tout doit rester à sa place jusqu'à son retour. Je dois d'ailleurs penser à nettoyer les bocaux qui ne l'ont pas été durant tout ce temps, comme j'ai commencé à prendre soin de ses plantes en son absence, et même ses Pokémons, ou du moins les quelques-uns qui me laissaient s'approcher d'eux. Il y a néanmoins une autre raison. Cette chambre étant celle de Natsume, il est impossible pour moi d'abîmer le moindre meuble ou la moindre affaire, même sous le coup de la frustration amère qui m'envahit, car tout ici me ramène à lui et me le rappelle ; de son meuble où il range ses affaires, jusqu'à son bureau où je le voyais régulièrement griffonner des formules mathématiques incompréhensibles, en passant par cette fameuse couchette, la sienne, mais dans laquelle il m'arrivait de lui donner des massages lorsqu'il était tendu et que ses muscles le faisaient souffrir, et généralement, dans laquelle où nous nous rejoignions presque chaque nuit, malgré la chaleur de l'île, mais il n'y en avait assurément pas des plus douces que la sienne.
Je sens déjà mes yeux s'embuer. J'ignore comment j'ai fait pour ne pas encore avoir pleuré dans cette chambre, alors que tant de souvenirs douloureusement agréables ressortent à chaque fois que je franchis le seuil de sa porte et que je me remémore les moments passés avec lui alors que j'ignore où il est, ce qu'il fait et dans quel état il se trouve. Des gémissements finissent par retentir, mais ils ne s'agissent nullement des miens. Étonné, je me penche en-dessous de la paillasse et découvre, stupéfait, une petite forme tremblotante qui s'agite et pleure à chaudes larmes. En me mettant à quatre pattes, je m'approche et plisse les yeux, avant de reconnaître le jeune Insécateur que j'ai confié à Natsume il y a de cela un an environ.
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Yamamoto ?..Ma voix paraît chevrotante, mais elle est emplie de tendresse, et je ne veux surtout pas lui faire peur. Le Pokémon cesse de frissonner et lève son regard attristé vers moi. Il sursaute d'abord en me voyant, avant de reprendre son calme. Son expression peinée me fend le cœur. De nouveaux spams le secouent et il se retient difficilement de laisser sa tritesse l'emporter.
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Ça va aller, mon grand. Je suis là. Je suis là...Lentement, j'étends mes bras jusqu'à lui, l'invitant à sortir de sous la table et à s'approcher. L'Insécateur me scrute sans rien dire en reniflant, avant de se laisser convaincre et de se diriger vers moi. Chaque pas qu'il fait est maladroit, et s'accompagne progressivement de larmes qui montent encore en lui. Je l'encourage par des mots rassurants, puis le prend doucement entre mes mains. Tel un enfant, je le cale contre moi, et il en profite pour enfouir sa tête dans le motif de ma chemise, sans doute pour y chercher du réconfort, alors que son dresseur n'est exceptionnellement pas là pour le faire. Très discret, je viens de le remarquer, mais qui sait depuis combien de temps ce jeune insecte se lamente dans ce coin sombre en pensant à son éleveur qu'il n'a plus revu depuis des semaines. Dans un geste parental, je caresse la fragile créature et l'installe sur le matelas où Cheza réside toujours, m'observant avec inquiétude et chagrin. Je m'assois à ses côtés en tailleur et commence à bercer Yamamoto.
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Moi aussi, il me manque.Et c'est vraiment peu de le dire. Je n'aurais jamais pensé que cela puisse être aussi douloureux, même si l'absence de mon père m'avait déjà donné un très grand avant-goût plus que désagréable de ce que pouvait être le manque d'un proche. C'est affreux. Pourtant je m'efforce de rester le plus stoïque face à la situation, sans jamais montrer ne serait-ce qu'un seul moment de faiblesse. Régulièrement, mes Pokémons viennent me consulter pour vérifier mon état et m'assurer que je ne fasse rien qui puisse nuire à ma santé. Ils savent ce qui s'est passé en janvier, il y a deux ans. Ils ont peur que je recommence. Je ne leur en veux pas de s'inquiéter, c'est tout à fait normal. Néanmoins j'ai grandi, depuis. Enfin, un peu. Natsume est vivant, j'en suis certain; et personne ne pourra jamais me faire croire le contraire tant que je n'aurai pas vu son cadavre de mes propres yeux. Et tant qu'il est en vie, j'ai l'espoir de le retrouver. C'est pour ça que j'essaye de relativiser et de me convaincre moi-même qu'on finira par le revoir bientôt. Mais comment puis-je mentir à moi-même alors... qu'il n'est pas là. Il n'est pas là, et je ne peux pas changer ça. Je dois vivre avec tant bien que mal, tout en soutenant mon grand frère hérisson qui a bien failli subir la colère de Kaede et de Hayato. Heureusement, Isaac est présent pour lui, et je crois que Alice l'aide à ne pas trop y penser.
J'aimerais faire plus. Je ne sais comment, mais je me sens tous les jours un peu plus vide, que ce soit par le sentiment d'inutilité qui m'habite ou cette souffrance qui me taillade le cœur un peu plus chaque matin quand je ne sens pas la présence de mon petit ami près de moi et que je le sais introuvable depuis presque un mois. Ses alliés sont devenus distants. La tension qui s'est installée a engendré une sorte de malaise, mais malgré mes petites tentatives pour calmer le jeu, seul le retour de Natsume pourra véritablement faire revenir la paix qui existait entre ses Insectes, ses Plantes, et les quelques autres dont le type est hors de ses deux de prédilections. J'ai l'impression toutefois de m'être rapproché de ceux que je connaissais le mieux, comme Tsubaki. Sa fille fait du mieux qu'elle peut pour lui faire oublier la disparition de son dresseur, mais c'est loin d'être simple.
Je ne peux m'empêcher de rire tristement au nez de ceux qui me croient le plus atteint par l'éloignement du Shimomura. Non, je ne crois pas être le plus à plaindre dans cette histoire, même si ma position, je ne peux le nier, est loin d'être simple à gérer et que je ne le supporte véritablement -certes avec difficulté mais quand même- que parce que je remue ciel et terre pour le retrouver et que ce n'est pas en restant abattu que je ferai avancer les choses. Je pense bien sûr à Faust, qui se croit responsable et s'en veut amèrement, mais aussi à Nagisa. Même si je n'ai pas d'excellents rapports avec elle, je devine son tourment immense. Ce petit frère qu'elle a protégé pendant toutes ces années et sur lequel elle n'a jamais cessé de veiller, se retrouve volatilisé à travers l'espace pour une raison qui demeure mystérieuse. Je n'oublie pas non plus que Natsume ne lui a toujours pas pardonné. Bien que sa jalousie m'ait attirée sa haine, je ne peux qu'avoir pitié d'elle en ces instants. C'est sans doute la personne la plus importante à ses yeux. Notre douleur est la même, alors en ces temps de trouble, nous nous permettons de nous entraider, car nous avons le même objectif, après tout. Je n'exagère pas en disant que je suis sans doute prêt à n'importe quoi pour le faire revenir sain et sauf auprès de nous. J'ai même mis en pause mes entraînements et la Compétition pour me consacrer uniquement à son retour, qui est devenue ma priorité absolue.
Le jeune Insécateur que je tiens dans mes bras semble reprendre contenance peu à peu. Sans doute que j'aurais laissé échapper mes larmes depuis longtemps si je n'avais pas voulu consoler Yamamoto. Je fais mine de ne rien ressentir en public, mais je ne peux pas cacher éternellement la profonde tristesse qui me ronge. Je n'aurais jamais imaginer qu'aimer cet idiot pouvait être si pénible et déchirant. Si nous étions restés en aussi mauvais termes que lors de notre première rencontre, je n'aurais pas à mordre mes lèvres jusqu'au sang pour me retenir de déverser le flot de désolation qui me submerge et m'étreint avec supplice. Mes sentiments m'ont pourtant fait connaître tout autre chose que du mépris à son égard, ce que je ne regrette absolument pas, malgré ce que je peux penser de moi parfois. Il m'a fait devenir encore plus niais qu'avant, et également peut-être un peu plus égoïste, aussi. Car si ma possessivité s'est atténuée depuis la dispute que nous avons eu à peine deux mois après notre mise en couple, je continuais niaisement de flatter mon égo en me disant que j'étais le seul à avoir pu le conquérir (malgré moi d'ailleurs mais je ne m'en plaignais jamais) et que de temps en temps je lui lâchais un « à moi » quand je l'enlaçais juste avant de dormir.
Lorsque le silence règne enfin dans la chambre, je me rends compte que Yamamoto s'est endormi. Je l'envie, de trouver le sommeil ainsi. Je sens que cette nuit, une nouvelle insomnie m'attend. Ma mère s'inquiète de mes sommeils agités, mais elle comprend tellement ce que je peux ressentir. Mon regard se lève soudainement vers la porte lorsqu'elle s'ouvre lentement pour y dévoiler la sihlouette d'un Cizayox que je ne connais que trop bien. Nakama passe la tête dans l'ouverture et sursaute en apercevant son fils endormi contre moi. Il paraît soulagé de le trouver ici, et s'approche à pas feutré pour ne pas le réveiller. Voilà donc ce qu'il cherchait tout à l'heure comme un forcené cet après-midi.
Délicatement, je fais passer sa progéniture entre ses pinces pour ne pas tirer le petit des bras de Cresselia, et il soupire de soulagement, avant qu'un sourire doux ne vienne changer son expression, habituellement sérieuse et impassible. C'est étrange, comme on peut changer au contact d'un seul être ; comment une seule personne peut faire la différence. Je n'aurais vraiment jamais cru voir mon Cizayox agir comme ça. Yamamoto était peut-être imprévu, mais très loin d'être indésiré ; et heureusement le lien qui m'unit à Natsume lui donne l'occasion de le revoir aussi souvent qu'il le désire. Comme dans les animes, j'aimerais bien que ce lien soit si puissant qu'il puisse établir une connexion entre nous, de telle sorte que je pourrais sentir s'il va bien, et savoir où il se trouve. Mais ce n'est qu'une image. Juste une image. La vie des héros de shonen n'est jamais facile, mais nous avons au moins la certitude que leur histoire se terminera bien.
Natsume...
Mon Natsume... C'est stupide, mais il m'arrive parfois de réaliser encore que je t'aime. Et j'en viens à me demander pourquoi mes sentiments sont réciproques. Pourquoi le destin a voulu que ça arrive de cette manière. Tu aurais pu tomber sur n'importe qui, vraiment. Je suis sûr que les choix n'auraient pas été minces. Un garçon aussi adorable et dévoué. Qui n'en rêve pas ? Qui n'en rêve pas... Et pourtant je continue à me plaindre que tu travailles trop. Que tu parles d'Esther comme quelqu'un d'exceptionnel au point que des étoiles dansent dans tes yeux chaque fois que tu abordes son sujet. Que tu es trop têtu, alors que c'est un défaut que j'ai moi-même. Qu'il t'arrive de parler sans réfléchir. Mais en dépit de tout ça, et de tous les désaccords que nous avons pu avoir, ça ne change rien à ce que j'éprouve pour toi depuis que je me suis rendu compte que je pouvais tomber amoureux. Alors je me questionne. Plus je me regarde, plus j'ignore ce qui fait que ton cœur bat davantage en me voyant. Ce qui fait que tu ne comporterais pas de la même façon avec moi qu'avec quelqu'un d'autre. Ce qui fait que seules mes lèvres sont acceptées des tiennes. Et ce qui fait que je suis le seul humain contre lequel tu te blottis. Tu peux sembler froid et fermé, mais je sais comment tu es en réalité. C'est probablement pour ça aussi que je t'aime. Que tu as réussi à me faire ressentir une émotion pareille, moi qui n'ait pourtant rien pour plaire. Je suis maladroit, bête, guimauvesque sur les bords, hypocrite et insécure. J'espère néanmoins qu'un jour je réussirai à comprendre ce qui s'est passé en toi ce jour-là pour que je sois aussi important dans ta vie.
Cheza se déplace sur le lit pour se poser en face de moi et me regarder avec ses grands yeux rouges d'un air préoccupé. La pauvre Bulbizarre se fait du soucis pour moi. Mais pas seulement pour moi, en vérité. Elle adore Natsume, ce n'est pas un secret. Après tout, c'est Tsubaki qui me l'a confié lorsque ce n'était encore qu'un tout petit Oeuf, et comme Fae, je ne la remercierai jamais assez de la confiance qu'elle m'a apporté ; car cela compte beaucoup pour moi. Cheza est jeune, pleine de vie, et toujours joyeuse. Je n'aime pas voir cette affliction qui traverse ses prunelles alors que je la connais si enthousiaste d'habitude. Mais si je souriais, elle saurait que c'est faux, que je ne ferais ça que pour la tranquilliser. Évidemment, ce n'est pas si simple. Comme j'aimerais la soulager... Comme j'aimerais avoir la solution à ce mal qui nous abat tous... Je ne le peux, malheureusement. Mon désir le plus cher, autant que le leur, est aussi de retrouver Natsume. Si seulement nous avions une piste, même la moindre. Mais nous ne disposons de rien, pour le moment. Pas même le plus petit indice.
Je sens mes yeux commencer à s'humidifier. Ma main vient se poser sur le bulbe de la femelle Plante. Je ne l'ai pas réalisé tout de suite, mais Cheza est comme un élément de cette chambre : c'est un petit ange qui arrive toujours à me faire sourire, comme le garçon perdu que j'aime tant. Ce garçon aux cheveux hérissés et aux grands yeux bruns, que j'ai tendance à sous-estimer, à tort, parce que j'en suis fou, et que je connais ses faiblesses. Sarcastique et blasé envers la majorité des gens, si je n'en échappe pas non plus, j'ai droit à d'autres traitements quand nous ne sommes que tous les deux. Il serait dur de me croire si je disais qu'il peut être aussi niais que n'importe qui, mais il suffit même de voir comment il est avec les Pokémons pour le comprendre rapidement. Je suis heureux de ne pas m'être enfui ce jour-là. D'avoir eu droit à ses insultes pour l'avoir aidé à panser ses blessures, mais également d'entrer dans sa vie. D'étranger dont il aurait bien vu la tête sous une guillotine, je suis devenu cet ourson dont il peut aujourd'hui difficilement se passer en vérité, même s'il ne l'avouerait probablement jamais.
Ma gorge se noue. Mes lèvres tremblent. Ma vue se brouille, et se perd dans le vague quelques secondes, comme si j'étais déconnecté. Je revois l'image de Natsume. Elle se forme dans mon esprit, dessine ses contours, et je finis par l'apercevoir, de dos. Son visage se tourne vers moi, puis me sourit. Il est aussi serein et radieux que dans mes souvenirs. J'aimerais tant que ça ne soit pas un mirage. Qu'il soit réellement près de moi pour s'excuser d'avoir été absent pendant ces dernières semaines, et me demander ce qu'il pourrait pour que je le pardonne. C'est ma Bulbizarre qui finit par me ramener à la réalité en entourant mes bras avec ses lianes. L'illusion de l'éleveur disparaît, remplacée par Cheza, qui se retient comme elle peut pour ne pas fondre en larmes.
Mais je suis le premier à craquer. Mes larmes tombent les unes après les autres et coulent sans s'arrêter. Je n'essaye même pas de les chasser. Je ne sais même pas combien de temps je les ai retenues. Cheza n'hésite pas plus pour sauter dans mes bras, et je l'y accueille en cherchant contre elle un réconfort que je n'ose quémander auprès de personne d'autre. Mes gémissements et mes lamentations s'échappent d'eux-mêmes. Je ne les contiens pas. Je ne les contiens plus. J'ai mal.
Tellement mal. La balle que j'ai reçu il y a de cela presque un an me paraît loin, très loin, et il me semble encore même que la douleur que j'avais ressenti à ce moment-là n'était en rien comparable à celle qui me consume à présent. Mon Cizayox me scrute avec impuissance, devinant le chagrin lourd et déchirant qui me traverse. Je ne voulais pas me montrer si faible, mais je ne peux m'empêcher de pleurer. Natsume me manque à un point inimaginable, que je n'aurais pu soupçonné jusqu'à aujourd'hui.
Dès que mes geignements commencent à se faire plus discrets, par ma seule volonté, une lumière entoure Cheza et la fait évoluer en une ravissante Herbizarre. Cette dernière me regarde avec un air décidé. D'un geste d'une de ses lianes, elle chasse les quelques larmes qui roulaient encore sur mes joues. Je la caresse avec douceur et tente un mince sourire, bien que maladroit au possible. Son évolution signifie peut-être que je ne dois pas me laisser décourager, même si j'ai l'impression que nous avons essayé toutes les tentatives possibles qui existent, et que pourtant il y a certaines choses qui nous échappent encore. Mon attention se tourne vers le t-shirt de Natsume qui repose sur le lit, puis sur le fenêtre par laquelle je peux voir la lune éclairée la pièce, en priant de tout mon cœur pour que Natsume soit en train de regarder les mêmes étoiles que moi, plutôt que d'en faire partie.