Vanawi était une ville des plus animées. Le jour, le bruit vous assourdissait avec tellement de force que vous pouviez en avoir mal à la tête. Moi, je préférais cette ville la nuit. Accoudée à mon balcon au-dessus du centre, j'observais les étoiles scintiller dans le ciel. J'aimais cette impression d'être toute petite devant l'infinité du ciel. La lune était à peine levée, mais les cieux étaient déjà d'un noir d'encre. Le vent était frais, et au-dessus de mon tee-shirt blanc, je portais un châle rose pâle orné de petites fleurs dorées. Mes cheveux voltigeaient derrière moi ; ils avaient poussés depuis quelques temps. Ils m'arrivaient au milieu du dos, vaguement ondulés sur le bout. Je remis en place mes mèches folles, et baissais le regard. La ville était calme, pour une fois, et j'eus soudain envie d'aller faire un tour.

Je resserrais mon châle sur mes épaules, pris avec moi mon sac en bandoulière où se trouvaient mes pokéballs vides et celles contenant mes amis, et je sortis, non sans avoir prévenu ma chère assistante Isabelle. Elle se tenait à l'accueil, infatigable semblait-il. Elle était avec sa Rondoudou, et classait des papiers. Elle me souhaita une bonne balade, un sourire doux sur les lèvres, qui me fit sourire à mon tour. Je sortis dans le souffle frais de la nuit, avec calme, songeuse.

« Ah, la belle vie » me mis-je à chantonner à voix basse, laissant mes pas me traîner dans les ruelles que je connaissais par coeur, depuis tout ce temps où je vivais à Vanawi.

J'étais songeuse, mais je n'aurais su dire sur quoi mes pensées se concentraient. Sur beaucoup de choses, à vrai dire. Sur le régime, sur la résistance, sur mes amis, nouveaux et anciens, sur mes ennemis, juste nouveaux, eux. J'avais perdu la capacité de m'inquiéter, je crois. J'avais envie de laisser les choses aller comme elles le devaient. A quoi cela servait de paniquer, de toute façon ? Peut-être était-ce dû au fait que je devenais plus forte. Ou plus inconsciente. J'eus un petit rire faible, comme un tintement de clochette, alors que je traversais une ruelle au lampadaire échoué par terre. Je n'avais pas peur. Je ne voulais plus avoir peur.

Malgré moi, mon esprit me ramena à cette nuit où j'avais soigné cet homme. Il m'avait fait de l'effet, je devais bien l'admettre. Mais encore une fois, je n'avais pas envie de souffrir inutilement. Peut-être devais-je abandonner l'idée de le revoir un jour. C'était tout aussi bien. Je n'avais pas besoin de cet amour. J'avais toujours vécu sans. J'avais toujours réussi à vivre avec mes amis, ma famille. Un amoureux ne me servait pas à grand chose, à vrai dire. Quand je pensais aux filles de mon école, il y a quelques années, qui parlaient de leurs petits amis, de leurs séances de bécotages - et plus si affinités - je me sentis rougir. Peut-être, au fond, étais-je trop romantique, à rêver de baisers volés et d'un prince charmant. Je n'étais pas une princesse, après tout ; nulle couronne n'ornait mes cheveux, et puis les robes ne m'allaient pas. J'étais toute à mes pensées, mais du bruit me fit relever le menton, surprise.

En relevant la tête, je remarquais une ombre. M'immobilisant près du lampadaire, préférant rester dans la lumière, je vis une silhouette approcher, dans un son léger, assez doux. Deux yeux aux étranges couleurs me lancèrent un regard inquiet, méfiant, et je ne bougeais pas. Je me souvenais un peu des histoires sur ce pokémon : un polichombr, un pokémon qui aimait les personnes jalouses, colériques. Avais-je eu des pensées avec pour origine de tels sentiments ? Je n'en avais pas l'impression ; peut-être avais-je juste dérangé ce petit pokémon.

« Bonsoir » fis-je d'une voix très douce pendant que le regard ne me quittait pas. Je sentais presque sa méfiance me brûler sous son air fixe.

Je n'avais pas voulu embêter le pokémon sauvage. Néanmoins, je me souvenais que je m'étais promis de donner à mes pokémons de quoi se dégourdir. Pourquoi ne pas faire un petit combat pokémon ? L'idée de blesser de pauvres pokémons sauvages avait encore quelque chose de déplaisant, mais plus autant qu'avant. Je comprenais où voulait en venir Kirito, au centre pokémon. Il y avait dans les combats quelque chose d'artistique, de tacitement régulier, juste.

« Je suis venue me promener. Mais j'aimerais bien combattre avec toi. Je te présente Thor. » continuais-je toujours aussi doucement.

J'avais sorti de mon sac en bandoulière de cuir rouge sombre la pokéball de mon ami, et dans un déclic familier, je le fis apparaître près de moi, énorme félin dont le pelage était rendu plus sombre par le manque de clarté. Il me jeta un coup d'oeil, puis posa son regard d'ambre sur le pokémon inconnu face à nous. Il n'eut pas besoin d'ordre pour se placer entre moi et la Polichombr sauvage.

« Très bien. Commençons. Fais une Etincelle, Thor. Vas-y doucement, d'accord ? »

Je souris en direction du petit pokémon spectre. Je ne voulais pas la blesser grièvement. Je dois avouer que j'avais plus envie de voir ce qu'elle cachait derrière ses allures méfiantes. Le félin s'avança, agile jusqu'au bout des griffes, et je me surpris à admirer la ligne de ses flancs, sa longue queue effilée terminée par une étoile, son début de crinière, ses oreilles rondes et douces. Il avait fière allure, mon ami de toujours, et j'étais admirative devant son caractère qui s'était à la fois adouci et assagi. Il était plus humble, moins impatient. Il avait grandi lui aussi. La compagnie des autres pokémons lui faisait du bien, comme elle me faisait du bien à moi.

Le petit pokémon spectre était sur ses gardes, et c'est peut-être la raison qui la poussa à attaquer en première. Sous mes yeux - et ceux méfiants de Thor - des ombres s'échappèrent des ténèbres pour frapper le pauvre félin. Il eut beau feuler, donner des coups de pattes, il fut heurter par les créatures, qui disparurent aussitôt. Mais il n'avait pas dit son dernier miaulement ; il effectua une attaque étincelle de toute beauté, qui illumina la ruelle comme un éclair lors d'un orage. Frappant la Polichombr sauvage, je vis les blessures apparaître sur son corps semblable à un voile fin.

« Bravo, Thor. Très bon boulot. Recule-toi, maintenant, s'il te plaît. »

Je m'avançais, pendant que le fauve reculais de quelques pas, ses pattes formant un bruit feutré sur le trottoir. La nuit semblait s'être arrêtée, en cet instant étrange et magique. Je pris une pokéball à ma ceinture, et la présentais au pokémon spectre. Son regard trouble me chavirait le coeur, et je lui offris un doux sourire.

« Ceci est une pokéball. Et je voudrais que tu m'accompagnes. D'accord ? »

Je me demandais si chaque dresseur demandait son avis aux pokémons qu'ils capturaient. Moi, cela me donnait en un sens l'impression de ne pas les forcer. Une fois ma déclaration faite, je lançais la ball, curieuse de voir le résultat.

Mon sourire s'élargit alors que j'allais ramasser la pokéball. La petite poupée voilée était à présent mon amie, et je lui avais déjà choisi un nom. Mais avant cela, je me tournais vers Thor et le remerciais de sa participation avec une caresse sur son crâne doux.

« Merci à toi. Et bienvenue dans notre famille, Ran. »

Je hochais la tête et, accompagnée de mon ami félin, je continuais ma marche. Je passais derrière la ruelle, passant dans un parc en ruine, à la végétation étouffant tous les vestiges de la civilisation. C'était plus un terrain en friche, à présent, et je m'assis sur les restes d'un banc de pierre où le lierre avait formé un épais coussin. L'odeur d'humus et de plantes était plus forte, ici ; la végétation avait commencé à pourrir par endroit, à cause de l'automne qui était présent. L'hiver allait venir, et tout recouvrir de gel et de neige. Je frissonnais, et levais de nouveau la tête, fredonnant à voix basse. Je n'étais pas venue capturer de pokémon, mais finalement, j'avais vu sur ma route une nouvelle amie. Je me demandais si je n'allais pas faire d'autres rencontres, ce soir.

J'aurais aimé voir le Lion débarquer. Il hantait mon coeur comme une mélopée. J'avais beau tenter de le repousser, l'impression de toucher sa peau engourdissait encore mes doigts. J'aurais aimé le revoir, mais à quoi cela servait-il d'espérer ? Jamais il n'était revenu me voir, depuis tout ce temps. Je repoussais mes cheveux roses et soupirais, lasse. Le vent froid me cingla le visage, et je regardais autour de moi les ténèbres uniquement repoussés par la luminosité faible des étoiles et de la lune.

C'était magnifique. C'était magique. Et sans humains, surtout.

Sous l'immensité du ciel, je pouvais discerner une petite silhouette sombre, qui se révéla plus par son odeur qu'autre chose. Un petit moufouette timide, qui semblait ne vouloir faire que passer mais qui hésitait sûrement quant à ma présence. Ses effluves pestilentielles m'assaillirent le nez que je fronçais. Thor, à côté, feula, hérissé en sentant avec son odorat délicat l'odeur nauséabonde. Je me tournais vers lui et remarquais son expression. Son visage entier était froncé, et il montrait les crocs.

« Quoi ? Tu veux combattre ? Mais il ne nous a rien fait ! » m'exclamais-je, inquiète à l'idée de blesser un pauvre pokémon sans défense, puis je réalisais que dans tous mes combats j'avais blessé des pokémons qui ne m'avaient rien fait, après tout. Alors, doucement, je hochais la tête. « Bon très bien, fait comme tu veux. »

Après un miaulement ronronné, Thor s'avança après être tombé avec une délicatesse moelleuse sur le sol. Le moufouette se hérissa et son odeur n'en devint que plus horrible. Pauvre bête, qui sentait aussi fort et aussi mauvais. Thor attendait mes ordres, mais je voyais à sa posture qu'il n'attendrait pas longtemps. Je me tapotait la lèvre du bout des doigts, puis m'exclamais :

« Allez Etincelle, mon beau. »

Thor avait ce côté très carnassier, qui le rendait fier, et qui le poussait à
gagner dès qu'il commençait un match. Il en faisait aussi des tonnes pour être beau, gracieux, et le pire, c'est qu'il y arrivait. Elancé, gracile, félin, il sauta sur la bête et l'électrocuta un bon coup. Il lui suffit d'une autre bonne attaque, et le moufouette était KO. Je fis un signe, et avec Luxio, nous le laissâmes se reposer là, lui laissant la place, pour nous éloigner sur ce terrain vague. La nuit était fraîche, la luminosité pâle, et c'était incroyablement agréable d'être seule avec mes pokémons. Avec la foule au centre pokémon, cela me changeait.

« Tu as vraiment envie de combattre, hein ? Contre n'importe qui, que tu ais l'avantage ou non ... Cela te jouera des tours, mon beau, tu sais ? Je ne veux pas que tu souffres inutilement. Espèce de canaille, va. »

Je me baissais et lui tirais une oreille ; il leva la tête et mordilla ma main sans me blesser. J'aimais qu'il ait grandi et évolué ; il était plus calme, moins turbulent, et surtout plus affectueux. Peut-être qu'une fois évolué en Luxray, il aurait acquis assez de sagesse pour comprendre qu'un combat n'est pas toujours bon. J'avançais le long d'un grillage défoncé, puis ressortis dans une ruelle. Il était temps de rentrer. Je ne savais quelle heure il était, mais cette longue balade agrémentée de combats m'avait épuisée. Je longeais la ruelle, tendant l'oreille, calme et apaisée, fatiguée et heureuse.

Dans les lumières pâles et jaunes des lampadaires, je remarquais un mouvement du coin de l'oeil. Thor à mes côtés renifla, mais je le retins. Il s'était déjà assez battu comme ça, et il était épuisé. Apparaissant avec timidité, une petite scrutella s'approcha, avec ses airs de poupées, et sa belle robe blanche et noire. Je penchais la tête de côté, souriante. Soudain, la petite bête fit un geste et je reculais, apeurée. Sourcils froncés, elle semblait soudain beaucoup moins sympathiques. Et Thor qui était fatigué ! D'un geste, j'envoyais l'un de mes pokémons au hasard. Fourrure bleue, crocs dénudés, oreilles baissées, ma malosse shiny apparut, prête à combattre.

« Hati, tu peux y aller. »

La chienne bleue leva la tête et hurla sa joie au ciel sombre, avant de s'élancer de toutes la force de ses pattes, dans une attaque morsure vers la scrutella sauvage. La petite poupée semblait soudain beaucoup moins contente, mais je ne me fis pas avoir par son regard de chien battu, et j'eus bien raison : dans un rire diabolique, elle esquiva la chienne et revint vers nous, mais c'était sans compter sur Hati et sa vivacité : elle heurta le pokémon sauvage et se rua de nouveau sur lui, tout crocs dehors, ses griffes lacérant le vêtements de la femelle.

« Morsure Hati ! » m'écriais-je, me rappelant que les scrutellas étaient de type psy, et qu'elle n'allait pas pouvoir faire grand chose devant le type ténèbres de la chienne bleue.

J'avais eu de la chance de tomber sur elle, tiens. Thor derrière moi grondait, fâché de ne pouvoir participer au combat. Ses poils étaient hérissés, parcourus d'électricité ; il détestait que l'on s'en prenne à moi. Et moi aussi, en fait, je détestais cela, à bien y réfléchir !