Je reste assez surprise de voir la réaction de Victoria. Elle qui, quelques secondes auparavant, m’offrait un joli sourire, est maintenant plus blanche que si elle avait vu un fantôme. Elle recule, s’éloigne de moi, refuse mes caresses. Ai-je dis quelque chose de mal? Aurais-je dû me retenir? Cette question était-elle trop indiscrète? Possible. La jeune femme refuse d’abord de répondre. Je ne veux pas la forcer. J’aime mieux gaspiller ma question que de la voir réagir ainsi. De toute manière, elle ne me doit rien. Elle n’a pas à se faire de la peine ainsi pour une question bête. D’accord, j’ai été curieux, mais bon, tant pis si elle ne répond pas. Je m’apprête à lui indiquer d’arrêter, de laisser tomber, mais elle reprend la parole. Pour m’agresser, cette fois. Son ton de voix a changé. Elle me menace. Elle s’en prend à mes bijoux de famille. Elle s’en prend à ce qui, pourtant, l’a bien diverti dans ma chambre. Mais je ne m’offusque pas. Je ne réagis même pas. Je connais ce moyen de défense. Ma sœur faisait pareil. Au lieu de pleurer, elle frappait. Combien de gifles j’ai mangé avec elle… Au lieu de verser des larmes, d’affronter ses sentiments, elle mordait comme un animal. Je ne réagis donc pas aux attaques de Victoria. Je la laisse me morde. Elle peut me crier tous les noms qu’elle veut, elle peut me frapper, elle peut me faire ce qu’elle veut. Si ça peut la soulager…

Finalement, elle lâche la défensive. Elle se met à parler. Elle n’ose pas me regarder en face, mais elle parle. Ses paroles défilent comme l’eau de la douche. Elle raconte, elle se libère. J’ai l’impression que ce secret, elle ne l’a pas raconté à beaucoup d’oreilles. Ses paroles me touchent. Elle a beau dire ce qu’elle veut, je suis bien placé pour savoir que l’amour n’est pas la chose la plus facile à vivre. L’amour est une salope, des fois. L’amour nous joue des tours. Elle nous ridiculise, elle nous blesse. Elle nous arrache l’envie de vivre, parfois. Combien de fois ai-je moi-même pensé à la mort, à cause d’elle? Combien de fois ai-je voulu en finir pour me débarrasser de ce que je devais trainer avec moi, chaque matin? Qui sait. Moi je sais. Moi je sais ce que c’est, un amour destructeur. Je ne connais pas les détails de son histoire. Je ne sais pas qui est ce garçon. Je ne sais pas ce qu’il lui a fait. Et je ne sais même pas s’il avait tord, ou si ce ne sont que les circonstances qui n’ont pas jouées en leur faveur. Mais je sais ce qu’on peu ressentir dans le processus. Être abandonné, humilié, détruit. Ça, je sais. Je sais qu’après, on ne veut plus s’engager. On pense qu’on serait mieux seul. Que l’amour ne nous appartient plus. On se sent incapable d’aimer à nouveau. Faire confiance, ce n’est plus possible. Tout ça, je le sais, je le comprends.

Je la laisse terminer son discourt. Je la laisse prendre sa respiration. Je m’assure qu’elle n’ajoutera plus rien, puis je m’approche d’elle. Sans lui demander son avis, je l’attire sous le jet d’eau chaude qui coule toujours. Sa peau est froide. Je la tire contre moi, je l’entoure de mes bras, et pose ma tête contre sa chevelure trempée. Je ne peux distinguer les larmes des goûtes d’eau, mais je suis sûr qu’il y en a. Il ne peut pas ne pas y en avoir. Je la serre, je ne la laisse pas me repousser. Je veux qu’elle se sente bien, ici, dans mes bras. Je veux que, l’espace d’une nuit, elle oubli ce type qui lui a brisé le cœur. Je ne prétends pas vouloir la faire oublier, je ne pourrais pas. Et puis, ce n’est pas à moi de le faire. C’est à elle que revient la capacité d’oublier, de pardonner. Ça prendra peut-être des années, ca prendra peut-être une vie, qui sait. Mais je veux que ce soir, cette nuit, elle n’y pense plus. Je lui murmure quelques paroles rassurantes à l’oreille et la berce avec délicatesse. Je veux qu’elle se sente bien. Au chaud, en sécurité. Je m’accote contre le mur de la douche, Victoria toujours dans mes bras, et je lui caresse les cheveux, le dos, les bras. Les goûtes d’eau qui s’écoulent de la douche commencent à me faire mal, à force de toujours tomber aux mêmes endroits, mais je ne bouge toujours pas. Je suis bien. Je reste ainsi de longues minutes, à tenter de la réconforter, jusqu’à ce que les réserves d’eau chaudes s’épuisent et qu’une pluie glacée se mette à nous tomber dessus. Alors, j’arrête le jet, et invite Victoria à enfiler un peignoir propre, chaud et douillet. J’enfile le mien et l’invite à me suivre vers la chambre.

-Dis, tu veux un café? Il est encore trop tôt pour aller se coucher, tu penses pas? On peut regarder un film si tu veux? T’es pas fatiguée, quand-même!

En fait, je me fiche un peu du film. Mais je veux lui changer les idées, et quoi de mieux pour changer les idées d’une fille en larmes qu’un bon film avec des acteurs sexy! Une comédie, n’importe quoi! Je veux qu’elle s’amuse. Je veux qu’elle passe une bonne soirée.

Je m'éloigne vers la cuisine, laissant à Victoria le soin de choisir le film. Alors que je prépare le café et le popcorn à sa demande spéciale. Il traîne dans mon garde-manger depuis des lustres, mais je suis convaincu qu'il sera toujours aussi bon. Une bonne tasse de beurre et on en parlera plus. Pour ce qui est du café, par contre, je sais m'y prendre. Je mouds mon grain moi-même avec un mortier fait de cornes de Nirodino. Une fois les grains en poudre, je l'intègre dans la cafetière de qualité, et lui laisse la suite. Cette machine sait préparer un bon café. Fumant, goûteux... Elle me prépare même un soupçon de mousse de lait que je verse dans un petit contenant prévu à cet effet. Accompagné du pot à sucre, je place le tout sur un plateau que j'amène dans le salon, où m'attend la jeune femme, un film à la main. Je m'approche, curieux, et découvre avec horreur « This is the End »... Ce film... Oh non.

-Attends, tu rigole, j'espère! J'ai The Hangover 1, 2 et 3, et toi tu choisi ce navet! Je rêve! Il faut bien une fille pour aimer ce genre de films!

Je lui envoi un clin d’œil moqueur. Ce film est d'une connerie incroyable, et je dois avouer l'avoir détester. J'ai même déjà voulu le retourner et me faire rembourser, mais bon, ils ne reprennent jamais les navets. Enfin, si c'est ce que la miss veut écouter, pourquoi pas! Mais si je suis coincé à écouter ça, au moins que je rende les choses plaisantes. Je m'éloigne vers la chambre, où traîne toujours la bouteille de rhum. Je la ramène vers mon café et en verse une quantité importante dans ma tasse. Voilà qui rendra les choses un peu plus intéressantes.

Je prends place alors que le film commence, et imite Victoria qui s’étale de tout son long sur le canapé. Ses orteils ne me touchent pas, mais presque. Quant à moi, je dois plier les jambes un peu pour ne pas l'embêter avec mes gros orteils rugueux. Même si j'ai bien envi de la taquiner un peu, à vrai dire. J'ai envi de l'embêter. De frotter mes pieds sur elle en faisant mine de rien. J'ai envi de la faire chialer. Alors, très subtilement, je me met à lui chatouiller la cuisse à l'aide de mon petit orteil. Je n'écoute absolument pas le film. Je suis bien trop aspirer par mes malices. Je m'embête, et au moment où elle tourne la tête, je le retire prestement. Je fais semblant de ne pas comprendre, mais je sais que je ne suis absolument pas crédible, avec mon gros sourire de clown étamper sur le visage. Mais ce n'est pas ma faute, j'ai envi de jouer. Je sais que c'est moi qui ai proposé le film, mais ça m'emmerde plus qu'autre chose. Moi, je veux de l'action, d'autre action. De l'action comme ce qui aurait dû se passer dans la douche. Je suis jeune et bourré de testostérone. Ce n'est pas ma faute si j'ai des envies, c'est elle qui me fait cet effet. Avec son peignoir entrouvert, découvrant une partie de sa poitrine... Je l'imagine, nue sous ce vêtement si facile à retirer. Je pourrais même aisément glisser tout ce que je veux la-dessous...

Je veux lui faire comprendre mes envies. Je veux qu'elle y réponde. J'ai envi qu'elle se hisse sur moi comme une panthère en chasse. Qu'elle glisse ses mains sur mon torse... Je lui adresse un regard sensuel, et l'agace avec mon pied pour la forcer à me regarder. J'ai envi de repartir pour ce deuxième tour, ici, maintenant.

Hmmm... J’étire longuement mes pieds, les dandinant dans le lit. Je n’ouvre toutefois pas les yeux. Je suis bien, au chaud, avec cette fille… Cette fille? Sans bouger, j’ouvre les yeux en vitesse, et réalise qu’il y a bel et bien une jolie jeune femme à la chevelure rose qui dort dans mes bras. Je fronce les sourcils, me concentrant sur mes souvenirs de la veille. Ils sont bien flous. En me forçant, je réussi à reconstruire quelques peu la soirée. Des images me viennent. Un jeu de vérité ou conséquence dans un bar… Je ne peux toutefois pas me souvenir de ce qui a été dit ou fait dans ce bar. Enfin, probablement rien de trop compromettant. Si elle est resté, je n’ai rien dû dire ou faire de trop terrible… Enfin, je l’espère. Je me souviens aussi de la suite de la soirée, avec cette fois bien plus de clarté. Je revois sans problème nos ébats dans le lit et dans le salon… Je revois son corps nu sur le mien. Je revois ses courbes, je ressens ses lèvres contre les miennes. Ces souvenirs me rassurent. Au moins, je me souviens d’elle. S’il avait fallu que je me réveille aux côté d’une parfaite inconnue, sans même que ses talents au lit me soient mémorables…

Maintenant rassuré, je referme les yeux et ressert mon étreinte sur la jeune femme. Mais ce petit bonheur matinal cesse brusquement alors qu’elle se pousse avec violence, échappant un petit cri strident. J’entrouvre un œil discrètement, et aperçois enfin le visage de celle qui dormait à mes côtés. Elle est magnifique, même avec ses cheveux en broussaille et la marque de l’oreiller contre la joue. Je comprends mieux pourquoi je l’ai ramené ici, maintenant. Je l’observe tituber dans tous les sens, ramassant ses vêtements comme elle le peut. Elle est mignonne, dans sa panique. Elle ne se souvient probablement pas de la soirée. Pauvre petite, elle ne supporte sans doute pas l’alcool autant que moi.

En remarquant qu’elle cesse de bouger, je referme mon œil en vitesse, avant qu’elle ne remarque. Je ne veux pas non plus qu’elle pense que je suis un gros voyeur… Alors qu’elle s’éloigne vers la salle de bain en vitesse, je prépare mon sénario. Elle ne doit se douter de rien. Je patiente jusqu’à ce qu’elle daigne se montrer le bout du nez, cette fois un peu mieux arrangée. Comme un acteur, je m’étire et ouvre les yeux, faisant semblant de me réveiller à l’instant. Seigneur que je suis bon! Je lui offre un regard des plus naturels. J’en profite pour l’admirer dans son entièreté. Mes yeux se promènent sur son corps, abrité de mon propre pyjama. Si seulement je me souvenais de son nom, je pourrais l’inviter à me rejoindre, moi et ma montée du matin. Je ne la cache d’ailleurs aucunement, ne ressentant aucune gêne à ce dévoilement. De toute manière, d’après mes souvenirs, la jeune femme semble bien apprécier cette partie de moi.

Avec un sourire, je pose ma main contre les draps, l’invitant à se joindre à moi. De mon autre main, je tâte le dessus de ma table de chevet, à la recherche de mes cigarettes, mais abandonne mes efforts en voyant que le paquet ne s’y trouve pas. Déçu, je ramène mon bras vers moi. Je commence toujours mes journées par une cigarette… Il me faudra trouver autre chose pour me donner l’énergie nécessaire pour la journée… J’ai d’ailleurs une petite idée qui pourrait bien faire l’affaire… Quelque chose de féminin, de courbé… Quelque chose qui pourrait bien venir se poser sur mon corps chaud…

Elle s’approche de moi, la vilaine. Elle me veut. Elle m’aura. Je m’apprête à sortir une nouvelle capote, mais mon geste s’arrête. Je m’arrête en réalisant qu’elle ne me regarde pas. Son regard n’ose pas croiser le mien. Je ramène ma main vers moi, et observe attentivement la jeune femme qui baisse son regard. Je sens de la nervosité en elle. Est-ce parce qu’elle ne se souvient pas de moi? Oh seigneur… Ne me dites pas que… Ne me dites pas que c’était sa première fois! Je n’ai tout de même pas enlevé sa pureté à cette jolie jeune femme! Non, impossible… Non, vraiment, c’est impossible. Avec le talent qu’elle avait la veille, c’est littéralement impossible. Cette fille est expérimentée, je le sais. Alors pourquoi ne me saute-t-elle pas dessus?

La demoiselle fini par ouvrir la bouche. Les mots qui sortent me glacent sur place. Que veut-elle dire par… ce qui a été dit hier? Qu’est-ce que je lui ai avoué au bar? Qu’est-ce qu’elle m’a dit sous la douche? Je suis mal. Je n’ai absolument pas la moindre idée de ce qu’elle veut dire. Oh Arceus… Et comment se fait-il qu’elle se rappelle, elle? Pourquoi suis-je le seul à ne rien comprendre? Mon corps est parcouru d’un frisson. Je dois savoir ce que je lui ai dit… Et la phrase qu’elle rajoute n’annonce vraiment rien de bon. Oh bon dieu de merde. J’ai beau réfléchir, je ne vois absolument pas qu’est-ce qui aurait pu possiblement être dit entre nous la veille. Qu’est-ce que je pourrais bien avouer à une fille que je ramène chez moi?

-Haha, tu rigoles, bien sûr que je me rappelle de tout… Tout ce qui a été dit, je me souviens… Mais juste pour être sûr de bien me souvenir, on a dit quoi?

J’ai l’air d’un gros imbécile. Entre mon expression que me trahit et la bosse plus qu’apparente toujours entre mes jambes, j’ai l’air vraiment idiot. J’ai l’impression d’être un petit jeune qui vient de vivre son premier lendemain de veille, où ses amis lui font croire plein de conneries simplement pour le troubler. Mais en ce moment, je sais que Victoria ne me fait pas marcher. Son soupir est réel, et il en dit long. J’ai vraiment merdé. Je me suis trahi. Moi qui n’avoue jamais rien de ma vie personnelle à une fille, qu’ais-je fais, cette fois? À part mon nom, je ne dis jamais rien. Et encore, des fois elles ne savent même pas qui je suis! Elle, on dirait qu’elle sait tout. J’ai peur de ce qu’elle risque de m’avouer, parce que vraiment, je ne sais pas du tout à quoi m’attendre.

Tout ça m’a complètement coupé toute envie sexuelle. Malgré cela, mon camarade ne semble pas avoir l’intention de baisser la tête, ce qui me met franchement mal à l’aise. Je vis un véritable cauchemar. J’ai une terrible envie de fumer. Je veux disparaître. Mais je veux surtout savoir ce qui a été dit. Enfin, je pense… Je veux le savoir, mais en même temps, je sens qu’il serait peut-être mieux de ne pas le savoir. Rester dans l’ignorance est parfois mieux. Connerie. C’est ce qui arrive quand tu bois trop, Wes… Bon aller, je dois savoir. Je dois savoir ce que j’ai avouer de si terrible. Pour qu’elle m’offre une telle tête, alors ça devrait être quelque chose… Je secoue la tête, comme pour chasser mes inquiétudes, mais il n’y a rien à faire. Rien à faire, à part écouter Victoria m’avouer le tout.

-D’accord, je me souviens de rien. Alors, qu’est-ce qu’on s’est dit? Je veux savoir.

Elle est allé trop loin en m’avouant tout ça, elle ne peut pas juste ne pas me le dire, maintenant. Elle n’aurait pas du parler si elle ne voulait pas répéter. Maintenant, je vais exiger un avoue.