Pourquoi à chaque fois on en arrivait là, hein?
Pourquoi ça devait toujours se finir mal, je savais que j'étais incapable d'aimer quoi que ce soit d'humain ici bas mais avec Irina, ça ne devrait pas se passer ainsi. Pourquoi elle- Pourquoi je faisais ça. Peut-être car je commençais à réaliser que c'est moi qui inventait tout ça depuis le début et que la colère d'Irina, sa tristesse, sa haine envers moi, c'était tout simplement mes propres sentiments que je me recevais en pleine gueule. Non, pourquoi aurais-je si mal si ce n'était pas vraiment ma sœur jumelle qui était là, sa main tremblante sur la mienne tout aussi tremblante refermée sur le cutter que j'avais... J'étais en train de craquer complètement là. Tout se passait si bien, nous avions marché dans la forêt, tranquillement, et puis elle m'avait refait son cinéma et cette fois, plutôt que m'écraser, j'avais préféré prendre le dessus sur elle. Je l'avais engueulée, insultée, puis j'avais sorti mon arme, et là, elle me retenait , des larmes de colère coulant de ces yeux. Depuis combien de temps étions nous plantés là, dans cette position, à s'observer, à comprendre. Quel genre de type insulte et menace de tuer sa sœur, au juste?

« Iri... Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça... Si on arrêtait un peu nos conneries, je t'en supplie, pardonne-moi. Pardonne-moi, plus jamais je ne te ferais du tord. »
« Nos conneries? Le seul qui déraille c'est toi Alexander. Tu as tenté de me tuer! Sale ordure. »

Sale ordure. C'est moi. Je baissais les yeux et sentais une boule se former dans ma gorge. Elle avait raison. Comment pouvait-elle avoir autant de force dans un seul bras? Elle serra mon poignet plus fort encore, menaçant de le broyer... C'est impossible... Une telle poigne ce n'était pas humain, pas pour une femme du gabarit d'Irina. Tout ça était totalement irréel. Mais qu'est-ce qui était réel au juste? Irina pouvait très bien m'avoir inventé au même titre que moi, je la voyais apparaître.  

« Cette fois encore, tu ne réussiras pas à me tuer, je ne sais même pas pourquoi je continue de te pardonner alors que tu n'est un sale fratricide. Dans la voiture, le jour de nos 18 ans, tu as quand même pointé ce flingue sur moi et... »
« MAIS TAIS-TOIIIIIIIII ! »

Oh non, pas ça. Je ne devais pas l'écouter. Elle mentait, c'était faux, je n'avais jamais... Jamais fait ça. L'accident était arrivé seul. Le conducteur avait dérapé et nous avions réussi a nous en sortir, on avait été chanceux, donc qu'est-ce que cette histoire de flingue venait foutre là? J'avais hurlé et je m'échappais de sa main pour me boucher les oreilles et m'accroupir au pied d'un arbre. Je tremblais. Elle avança encore vers moi et pris mon col, me forçant à me relever et à la regarder tout droit dans ses pupilles écarlates.

« C'est la dernière fois, Alex. La dernière fois que je te sauve, car sans moi, tu ne seras jamais rien. Tu entends? Rien. Je te laisse une dernière chance, mais elle ne va pas être gratuite. »
« Je ferais tout ce que tu veux... Tout ce que tu veux. »
« Parce que tu m'aimes? »
« Oui, parce que je t'aime. »
« Plus que tout au monde? »
« Plus que tout au monde. »

Et voilà, elle souriait à nouveau, mais je n'étais pas rassuré du tout. Elle me tira par le poignet jusqu'au bord d'une mare dont l'eau était presque noire. Et dedans, je pouvais voir des sortes de vers sombres s'agiter. Des sangsues. Oh putain, non. J'eus un mouvement de recul violent, je détestais ces bestioles, elles me faisaient peur, pour tout dire, c'était limite phobique. Comme Sky avec l'eau. Sky. Me sauverait-il comme je l'ai déjà sauvé? Je perdais tour contrôle à nouveau et comme un enfant je la suppliais de me laisser partir, m'excusais sans m'arrêter. J'étais maintenant allongé au sol, la tête au dessus du bassin d'eau noire, Irina me tenait bien pour que je ne pense pas à m'enfuir. Je suais à grosse goutte et je devais être blafard. J'avais la nausée, aussi. Ma voix s'était tue et j'acceptais ma sentence avec une résignation presque dégoûtante.

« Tu aimes tant torturer les gens, tu as déjà pensé à ce que produirait la torture sur toi, mon cher Lex? »

C'est à peine si je sentis qu'Irina entraînait mon bras pour le maintenir sous l'eau. Une morsure, puis une autre, je grognais et serrais les dents... Combien en voulait-elle, au juste? Avec combien de morsures serait-elle satisfaite. Une sensation de succion commença à s'appliquer à chacune des morsures sur mon bras. J'avais fermé les yeux comme si cela pouvait faire passer la douleur en gémissant mais je crus percevoir un éclair a travers mes paupières closes. J'ouvrais les yeux et voyais non pas Irina, mais Kassandra qui se tenait là, qui était sortie d'elle-même. Ma jumelle avait une fois de plus disparue. Paniquée, la Lamperoie s'enroula autour de mon bras plongé dans l'eau et me fit m'éloigner du bassin en me traînant presque sur le sol mouillé. Quand à moi, j'accusais le choc. En me réveillant, j'avais vu que c'était ma propre main qui tenait mon bras au fond de l'eau en train de se faire bouffer par les sangsues, et non pas celle d'Iri. J'avais un sacré gros problème quand même, maintenant qu'elle avait disparu suite à cette altercation pas très désirable, je n'avais qu'une envie, qu'elle revienne. Je n'avais pas de tendances suicidaires, mais que dire si un jour Irina me poussait dans le vide et qu'en fait je... Évites de penser à ça. Je n'ai aucun désir de mort. Sauf celle des autres. Kassandra avait arraché les sangsues de mon bras et m'observait d'un air préoccupé. Je la regardais à mon tour.

« Merci Kassy... Sans toi ces saloperies auraient bu tout mon sang. Ce serait con comme mort, hein! »

J'haussais les sourcils et grattais la tête de ma Lamperoie, puis je découvrais le caillou étrange qu'elle tenait entre ses  nageoires. Elle avait du la trouver en replongeant à l'instant pour cramer toutes les bestioles présentes dans cette fichue mare. Brave bête, elle m'avait vengée. Si elle savait de quoi il retournait en vérité. Doucement, je me levais en frottant les traces de morsures sur mon bras.


« C'est une pierre évolutive, tu peux l'utiliser si tu veux. »

A ces mots, je reprenais mon chemin, laissant ma compagne un peu seule pour qu'elle prenne sa décision. En me tenant encore le bras, je retrouvais les sentiers humides de la jungle, et observais les nuages gris se rassemblant au dessus des cimes des grands arbres. Le tonnerre grondait un peu plus loin, il serait sur moi dans très peu de temps. Déjà, un éclair illumina le ciel sembla frapper la forêt. Aucun soucis à le faire pour Kassy, peut-être ça avait été elle qui attirait la foudre. Je passais au bord d'un torrent et vis le monstre du Loch Ness remonter le courant comme si ne rien était et s'arrêter devant moi. Nan, je rigole, c'était Kassandra qui avait finalement utilisé sa pierre. Elle perdait pas de temps, celle-là! C'était bien elle de faire comme si elle hésitait pour prouver le contraire l'instant d'après. Kassy vint a moi, elle faisant maintenant deux bons mètres, au moins et elle se baissa pour que je la félicite d'une tape sur la tête. Sa gueule pouvait bien engloutir un crâne humain. L'idée me fit rire. Ça faisait deux fois que Kassandra me tirait d'affaire... Je m'en sortirais combien de temps comme ça? Au fond  je savais que si je cessais de me raccrocher telle une sangsue à cet événement du passée que je niais pourtant en bloc eh bien... Une sangsue. Quelle ironie.