Ruban n°1 : Riku

Aloïs Legrand

La fin du match résonna dans tout l'Amphithéâtre et la Nymphali s'arrêta brusquement, stoppant par la même occasion sa tornade rosée. C'était fini. Le Champion sourit à son Pokémon et Ange retourna devant son adversaire pour s'incliner respectueusement. Lorsqu'il fit de même, elle ne put réprimer un ronronnement, amusé de cette façon si particulière de la saluer. Malgré leurs styles totalement opposés, la petite femelle trouve quelque chose d'attachant chez Lemmy et apprécie le côté énergique de sa dresseuse qui lui rappelle un peu Judith.
Aloïs s'approcha de Riku et serra affectueusement la main que celle-ci lui tendait. La maladresse et le tact de la jeune fille le fit doucement rire et il allait lui répondre lorsqu'il fut coupé par le jury qui demandait déjà un silence complet. Mais même s'il faisait volontairement durer le suspens à propos des résultats, le blondinet savait pertinemment lequel des deux avait gagné. Le cuistot avait bien vu toute la détermination qui s'était dégagé chez la rouquine et avait été plutôt émerveillé par son style peu commun. Il avait vraiment apprécié de combattre contre Riku et avait découvert à travers elle tout le potentiel d'un Pokémon électrique. Il attendait donc avec impatience maintenant la réaction de la coordinatrice.

Réaction qui ne se fit pas attendre lors de l'annonce du grand gagnant. Aloïs se tourna vers la concurrente et constata qu'elle avait, aux coins des yeux, des perles larmoyantes exprimant son bonheur. Car oui, c'était bien le nom de Riku qui était sorti comme étant celui du vainqueur de ce Concours.
Mais Aloïs n'avait vraiment prévu la suite. Aussitôt que le triomphateur fut déclaré, la rousse se jeta sur le Champion qui fit un mouvement de recul sur le coup de la surprise et se surprit à rougir légèrement. C'était bien la première fois qu'une concurrente lui agrippait le cou ainsi !
Confus, il ne sut pas quoi faire sur le coup et se contenta de serrer doucement la jeune fille en lui tapotant le dos. Quand elle le relâcha, il se réjouit des paroles flatteuses de Riku et s'éclaircit la gorge pour reprendre un ton sérieux. Il sortit bientôt de l'intérieur de sa veste le fameux ruban convoitée par tous les coordinateurs qui l'affrontaient et s'empara de la main Riku pour le placer dans sa paume.

- Ce fut un plaisir de me battre contre toi, Riku. Et pour le match retour, c'est quand tu veux ! Tiens, voici pour toi le Ruban Magenta; tu l'as bien mérité.

Il rit de nouveau devant les remerciements et les salutations multilingues de sa cadette. Puis, il se courba légèrement en signe de respect pour son opposante et lui tapota une dernière fois l'épaule en signe d'encouragement avant de la laisser filer dans les vestiaires pour se remettre de sa victoire. Il aurait sûrement glousser comme un malade si seulement on lui révélé l'identité du cousin de Riku et si on lui avait dit que son ancien tortionnaire et "tatoueur officiel" se trouvait lui aussi dans les loges en ce moment-même et qu'il avait assisté au combat du début à la fin.

- Sublime, Ange; comme toujours, dit-il à l'intention de sa Nymphali qui vint sauter dans ses bras pour s'y blottir et recevoir des caresses largement méritées.

Ce fut donc sous les acclamations des spectateurs et un ultime signe dans leur direction que le Champion disparut dans le long couloir qui séparait l'Amphithéâtre de son bâtiment personnel.
Ses pas résonnaient comme pour lui rappeler l'énorme fossé qui existait entre ce monde d'élégance et le sien. Sa propre vie, autrefois morne et grise par moment, reprenait peu à peu de belles teintes colorées. Les retrouvailles avec celle qu'il aimait, la nouvelle qu'elle lui avait apporté, et les récents événements d'il y a quelques jours lui ont permis de redonner un nouveau sens à son existence.
Arrivé dans son salon, il s'allongea sur son canapé et croisa ses bras derrière sa tête. Ange fit quelques tours sur son ventre de s'y coucher pour un sieste. Calmes et détendus, ils ne sursautèrent même pas lorsque l'assistante du Champion Coordinateur ouvrit brusquement la porte d'un geste énervé. Néanmoins, même si elle bouillonnait de l'intérieure, elle n'en laissa rien paraître et passa une main dans ses cheveux pour les ramener en arrière.

- Un problème ?...

La jeune femme ne répondit pas tout de suite et s'approcha d'un pas pressé du blondin. Elle s'empara ensuite d'une chaise et s'assit en face du concerné avec un regard sévère.

- Votre blessure à l'épaule, faite la nuit dernière. Je veux des explications.
- Arf ! Pas la peine. Vous ne me croirez sûrement pas, de toute façon.
- Je ne vous lâcherai pas tant que vous ne m'aurez pas expliquer en détail ce qui est arrivé pendant mon absence. Jamais aucun voleur n'avait réussi à s'infiltrer de la sorte et à vous tirer dessus. Elles servent à quoi, vos heures d'entraînement quotidiennes ?...
- A me défendre contre les intrus. Or, ce n'était pas un intrus, mais un invité.
- Un invité qui se sert d'une arme contre vous, ba voyons...
- Ce n'était pas un ennemi !...
- Bon ! Dans ce cas dites-moi ce qui s'est passé !

Le blond grogna un peu mais finit par soupirer et abandonna. Après tout, ça ne lui ferait pas de mal de parler de ça à quelqu'un...

- Ça s'est passé peu de temps après mes retrouvailles avec Mak'. Le soir, je suis rentré; et c'est là que je l'ai revu...
- Revu qui ?...

Aloïs se figea et trouva soudain un intérêt particulier pour le plafond. Il aurait préféré oublier cette nuit, à vrai dire. Il n'en garde pas spécialement un bon souvenir. Son regard s'assombrit d'un coup.

- Lui...


Enfin, il rentra chez lui, exténué. Il fallait qu'il fasse le point au plus vite s'il ne voulait pas risquer de s'évanouir. Trop, trop d'événements qui s'enchaînaient à la suite. Comment allait-t-il faire face au nouveau rôle de père que le destin lui avait attribué, alors qu'il avait enfermé un gosse il n'y avait pas si longtemps ? Pourquoi cela le rendait-il heureux, alors qu'il ne méritait pas de l'être ? Il n'avait jamais eu à se poser ce genre de questions auparavant. Mais il devait sérieusement réfléchir et arrêter de se comporter en irresponsable. Il devait être plus mâture et se reprendre en main. Il était arrivé à un âge et à une situation où il ne pouvait plus se permettre de faire des conneries comme si de rien n'était.
Il reprit peu à peu une respiration normale et essaya d'allumer la lumière. Mais le courant était coupé; aucune lampe ne voulait marcher. D'une façon ou d'une autre, le Champion Coordinateur avait le pressentiment que l'orage et la pluie dehors n'y étaient pour rien.
Il chercha le boîtier pour ranimer l'électricité mais fut bientôt interrompu par une voix glaciale.

- Tu es en retard, Aloïs; ça fait bien 10 minutes, que je t'attends. Et moi qui te pensais ponctuel...

Boum. Boum. Boum...
Ses yeux bleus s'écarquillèrent, son sang ne fit qu'un tour, et il crut bien un instant que son cœur allait lâcher. Cette voix... Il l'avait bien déjà entendu quelque part. Puis, après réflexion, il se dit qu'il devait sûrement rêver ou halluciner une nouvelle fois. Mais lorsqu'il comprit que sa Nymphali voyait également l'individu derrière lui et qu'il se rendit compte qu'il était bien éveillé et parfaitement sobre, il devait bien se rendre à l'évidence que c'était bien réel et qu'il devait affronter cet inconnu un moment donné. Il décida finalement de se retourner et jaugea le "voleur" du regard. Tout vêtu de noir, chemise et cape comprises, la seul élément qui aurait pu lui révéler l'identité de l'intrus aurait été son visage. Mais ce dernier était caché par un masque blanc au motif félin, comme on en trouve au Japon. Il écarta la possibilité que cela soit Althéa à la vue de la taille et de la forme de l'inconnu qui équivalait à peu près au sien. Son timbre dégageait une certaine douceur, mais sans savoir pourquoi, elle demeurait froide et glacée pour Aloïs qui ne comprenait pas comment cet homme avait pu rentrer chez lui sans qu'il le remarque. Enfin, même si d'après ses dires, il étaient arrivé ici bien avant lui, dans l'obscurité le blondinet pouvait quand même distinguer si le plafond ou l'un des murs avaient été soigneusement déformés. Mais ce qui l'étonna encore plus, ce fut la présence de sa Feunard chromatique, qui demeurait là, à fixer l'adulte masqué, mais qui pourtant ne réagissait pas. Ce fut bien la première fois qu'Aurore était aussi calme devant quelqu'un que son propre maître n'arrivait pas à reconnaître.
Voyant qu'Aloïs avait apparemment du mal à mettre un nom sur lui, l'inconnu en question se prit d'un petit rire moqueur avant d'enlever son masque et d'abaisser sa capuche. Mais au fond, peut-être que le blondin aurait mieux voulu ne jamais le reconnaître; car à peine les éléments retirés, son souffle fut comme brutalement coupé et il tomba à genoux. Il ne put soutenir le regard de l'individu sans se donner des gifles censées le réveiller de ce qu'il croyait être un cauchemar. Ses doigts griffaient le sol tandis qu'une douleur insupportable lui brûlait les poumons et le choc était si important qu'il en eut des vertiges. Plus il tentait de se relever, plus la chute était rude. Il crut bientôt sentir des larmes perler au coin de ses yeux, choses qui arrivaient rarement pourtant.
Dès qu'il reprit à peu près une respiration normale, il se mit à bégayer. Le sourire narquois de l'autre et ses iris à faire glacer le sang le mettaient mal à l'aise et il fut pris d'une panique soudaine lorsque son opposant déboutonna sa chemise pour lui montrer sa blessure à la poitrine. Après un effort acharné, il fut enfin capable de prononcer le nom de celui qui se trouvait devant lui.

- Ikaël...